Le Contexte

« Ils disaient que le monde allait mal. Ils disaient que celui-ci allait bientôt disparaître.

C'était vrai. La population mondiale régressait. Non ; l'Humanité entière régressait. Elle se repliait sur elle-même dans un égoïsme déchirant. Il n'y avait pas de guerre, et nous ne manquions pas de ressources. Pourtant, inexplicablement, le peuple se détournait de toutes ses espérances. Il ne croyait plus en rien, ni en son futur, ni en son salut. Il sombrait dans une léthargie étouffante.

Pourtant, personne ne parlait. Chacun voyait cette décadence au quotidien, sans jamais ne s'y opposer. Comment étions-nous en arrivés là ?

Amentia, l'Intelligence Artificielle qui était d'abord chargée de la gestion la ville du même nom, a été élue pour gouverner l'Etat-Monde il y a près de huit cent ans. Une politique d'intérêt technologique et scientifique s'était alors mise en place. Et si les progrès de l'Humanité furent fulgurants les premiers siècles, nous tendions rapidement vers la stagnation, puis le recul. Pour cause : nous n'avions aucun passé, aucune mémoire, aucune connaissance. Qui étaient les architectes de ces ruines qui dominaient quelques plaines ? Qui avait élaboré les serveurs qui centralisaient les données de l'Intelligence Artificielle à la tête du Monde ? Quels avaient été leurs calculs, les pensées qui avaient traversé leur esprit ? Comment les médecins avaient-ils étudié puis combattu les maladies qui font aujourd'hui de notre quotidien un fléau ? Toutes ces informations n'existaient pas. Toutes ces expériences, nous ne les avons pas vécues. Nous devions tout reprendre depuis le départ, alors que le décompte de la destruction de notre ère s'écoulait lentement.

Oui, nous allions disparaître, tôt ou tard, car au-delà de l'Humanité, c'était la Terre qui s’essoufflait. C'est pour cela que nous combattions. C'est pour cela qu'Amentia avait engagé cette lutte. Pour que nous trouvions notre repos dans un Monde salvateur. Et c'est pour cela que nous avions abandonné notre passé, notre histoire, notre philosophie, notre culture, et tout ce que nous n'avions pas jugé nécessaire à la progression collective.

Avions-nous seulement fait le bon choix ? Voilà que nous nous remettions en question, maintenant que la falaise à nos pieds commençait à s'effriter. C'était aussi ce doute que tendaient à immiscer certaines personnalités qui avaient fait leur apparition depuis une vingtaine d'années. Ils se prétendaient auteurs, artistes, ou grandes figures d'un passé lointain. Ils se clamaient créations, mythes, ou légendes d'un autre monde. Et, alors que nous les pensions atteints d'une folie collective, il ne cessait d'en apparaître chaque jour.

Si une certaine partie de l'Humanité semble placer en eux les espoirs d'un destin meilleur, d'autres n'y voient que le chaos et la fin imminente. Car avec eux, de nouvelles pensées apparaissent, des points de vue en lesquels nous n'avons jamais osé croire.

Quant à l'IA Amentia, chargée de prendre toutes les plus grandes décisions, elle semble de plus en plus silencieuse depuis l'apparition de ces événements, recluse au fin fond de ses réseaux au centre de la capitale. C'est alors seule que l'Humanité décidera du chemin qu'elle doit prendre aux côtés de ces êtres inexplicables : la pente vers la Destruction, ou bien l'ascension vers une nouvelle existence ? »

2052 : La Fin de l'Humanité

C'est en 2052 que ce que nous connaissions de l'Humanité est morte.

Depuis des décennies, le seuil critique avait été franchi : le retour en arrière était impossible, et nous savions qu'il serait nécessaire d'affronter la fin en face, une fin qui détruirait tous les espoirs et toutes les bases qui avaient été le fondement de cette civilisation.

Les villes étaient régulièrement détruites par les dérèglements climatiques. Chaleur, famines, pollution, surpopulation, rien ni personne n'était épargné. Au milieu de ces désastres, des guerres ne cessaient d'éclater, prenant des proportions de plus en plus ravageuses et dictées par des conflits politiques aux origines sombres et l'irresponsabilité des gouvernements. Armes nucléaires, chimiques, et bactériologiques n'avaient plus aucune limite, une anarchie inavouée détruisant peu à peu toutes les lois morales de ce monde chaotique. La montée des eaux et les catastrophes naturelles ont raison des premières protections inutiles de cette société, redessinant déjà le paysage.

C'est aux prémices de cette apocalypse que des groupements de scientifiques et d'ingénieurs se créèrent, habités par des idéaux bien flous et controversés. C'est ensemble qu'ils travaillèrent sur le projet d'une Intelligence Artificielle qui serait capable d'enregistrer toutes les données de toutes les civilisations, et toutes les époques connues jusqu'à ce jour et qui pourrait peut-être, un jour, déterminer la ligne de conduite à adopter pour sauver l'Humanité. Mais cela était déjà trop tard.

Les plus grandes villes furent détruites, ou abandonnées. Des épidémies inconnues se propagèrent à une vitesse si rapide qu'elles en devenaient incontrôlables, et aucun traitement ne fut jamais découvert. La population mondiale ne cessait de décroître. Les infrastructures nécessaires à la survie de l'espèce humaine n'étaient plus entretenues. Les populations fuyaient et dépérissaient. Bien vite, tous les gouvernements s'effondrèrent : il n'y avait plus de pays, plus de barrière. Il n'y avait plus de nourriture, plus d'eau potable, plus d'électricité, plus de pétrole.

Tout ne devint que ruines délabrées, ravagées. Ici et là, quelques groupements de survivants subsistaient. Des décennies, des siècles durant, ils allaient de terres en terres, cherchant des lieux moins hostiles que d'autres, fuyant maladie et famine. Au fil des générations, les souvenirs se perdaient, s'oubliaient. Ils avaient fini par oublier la raison de leur fuite. Malgré tout, ils continuaient de fuir. Quelques fois, ils découvraient un autre groupe similaire au leur, avec lequel ils mêlaient leur langage et leurs connaissances. Mais il leur était impossible de se sédentariser à un point précis. Comment reconstruire une civilisation qu'ils n'avaient jamais connu ?

Aube du Troisième Millénaire

Après quelques siècles, la nature avait timidement commencé à reprendre ses droits en quelques lieux. Des villes devinrent forêts, et des pays entiers avaient été immergés par les océans. Pourtant, la population humaine ne connut pas de période de croissance excessive, le taux de fertilité ayant drastiquement chuté et la survie étant prioritaire à la reproduction, bien que la recherche de nourriture n'était plus une problématique majeure.

Parallèlement, quelques nouveau-nés développèrent des capacités hors normes, aux origines inconnues. Des pouvoirs qui dépassaient l'entendement. Tantôt craints, tantôt respectés, certains furent abandonnés et d'autres idolâtrés, jusqu'à ce que cela ne devienne une normalité. Ils étaient rares, mais de groupes en groupes, l'histoire de leur existence traversait les terres et les continents. Certains pensaient que cela était dû à la reconnexion de l'Homme à la nature; d'autres imaginaient que cela était une conséquence de l'acclimatation de certaines populations sur les terres hostiles qui avaient autrefois été touchées par les explosions nucléaires.

Ce n'est qu'un millénaire après avoir parcouru le monde au fil des générations à la suite de l'Apocalypse, que l'un de ces êtres découvrit une ruine qui dégageait une activité anormale. Curieux et alertés, le groupe qui l'accompagnait décida de déblayer les roches et les plantes couvrant la source d'énergie. Au fond, un immense ensemble d'appareils électriques grésillait, clignotait, autour duquel s'animaient lentement et faiblement quelques machines endommagées qui semblaient, avant de mourir, tenter de générer assez d'électricité pour laisser encore un peu de répit à l'entité qui contrôlait ce domaine. Celle-ci appelait depuis mille ans, celle-ci hurlait à l'aide, et personne ne l'entendait. C'est grâce aux mots qui lui avaient été enseignés et grâce à la voix qui lui avait été donnée qu'elle put transmettre les connaissances rudimentaires nécessaires pour que le groupe qui venait de la découvrir puisse rétablir ses fonctionnalités.

Il s'agissait du projet Amentia, et sa découverte signa l'An 0 de la nouvelle Ère.

An 0 et Avènement d'Amentia


Amentia avait, gravé en elle, toutes les données que ses créateurs avaient pu lui enseigner. Par des calculs et des simulations, elle déterminait le bien de l'Humanité, tout en faisant usage de la technologie de façon modérée. Elle apprit aux Hommes tout ce qui était nécessaire pour rétablir une civilisation. Elle dicta la ligne de conduite à adopter, se détournant de la culture humaine passée de manière à optimiser l'avancée technologique et scientifique qui pourrait permettre sa survie. Car Amentia savait, et craignait. Car Amentia avait connu la peur de la fin, elle comptait le temps qui s'écoulait précieusement.

Les premières villes se dressèrent autour d'elle, et rapidement, de nouvelles populations migrèrent dans la capitale du Nouveau Monde, qui fut nommée en l'honneur de celle qui avait redressé l'Humanité. L'avancée dans les sciences et les technologies furent la priorité, et la culture et l'histoire furent délaissées, portées pour responsables de la chute de la civilisation autrefois. La société fait face à un oubli collectif de son passé, malgré quelques bribes floues qui se sont transmises dans le temps. Mais la stabilisation et le développement commun et individuel des hommes lui donnent du crédit, et elle devint le guilde politique et social de la capitale, le Gouverneur de l'Ordre Mondial.


Jusqu'à ce que ces apparitions bien étranges se produisent.

Huitième Siècle

Des auteurs. Des scientifiques. Des musiciens. Des mythes et des légendes. Tous issus d'une époque qui avait été oubliée. Ils apparaissaient, les uns après les autres, sans explication possible. Même pour un peuple qui avait appris à accepter la magie, cela dépassait l'entendement. Et pourtant, il devint nécessaire pour eux d'apprendre à les connaître, et pour ces apparitions, d'apprendre à découvrir ce nouveau monde dans lequel ils n'avaient peut-être plus leur place.

D'abord rejetés et exclus, nombre d'entre eux les croyaient fous, ou menteurs. La population ne leur portait aucune confiance, ni aucun crédit. Ils apportaient avec eux ce que l'Humanité redoutait le plus : les contes, les légendes, les histoires, les croyances. Tout ce qu'elle avait renié, certaine que ces choses étaient à l'origine de la décadence humaine. Mais plus ils étaient nombreux, et plus ils faisaient parler d'eux. Ils apparaissaient à une ère ou l'état général de l'Humanité était en régression. Amentia était au pouvoir dans un Etat-Monde où elle possédait la pleine puissance, mais les avancées technologiques stagnaient. Depuis quelques années déjà, certains remettaient secrètement en cause les paroles d'Amentia. Pour ces gens, l'apparition des Auteurs, Mythes, et Créations, était un nouvel espoir.

Alors, peu à peu, une partie de la population commença à leur accorder du crédit. Ils furent amenés sur des plateaux de télévision, interviewés, leurs paroles furent transmises. Ils furent étudiés, écoutés, et peu à peu, acceptés.

Vingt ans plus tard, ils sont considérés comme une partie de la population. Intégrés, ils ne sont rien de plus qu'une curiosité avec laquelle la société a appris à vivre. Si certains Amentis sont fascinés par ces personnalités, d'autres s'en méfient, ou les haïssent. Mais doucement, la culture commence à renaître, et l'Histoire à se dépoussiérer.